RAFFINAGE ET BIORAFFINAGE
Dans le monde d’aujourd’hui, le terme de raffinage fait immédiatement penser au pétrole et à son formidable développement au cours du XXème siècle qui a changé la vie de l’humanité, le plus souvent pour le meilleur, avant de la menacer aujourd’hui par l’augmentation de la teneur en gaz carbonique de l’atmosphère.
Entre prévisions apocalyptiques et dénis, il y a un juste milieu sur lequel doit se construire le développement progressif mais obligatoire des énergies renouvelables. Elles sont basées presque exclusivement sur le soleil, du captage direct photovoltaïque ou thermique à celui indirect via la photosynthèse qui convertit le gaz carbonique et l’eau naturellement présents dans l’atmosphère en matière végétale alimentaire et non-alimentaire selon le fameux schéma réactionnel suivant
Il n’est pas inutile de rappeler à ce stade que le pétrole comme le charbon ne sont que des conversions biochimiques et chimiques des plantes et organismes vivants morts, à une époque où l’atmosphère était saturée en gaz carbonique. Leur fossilisation progressive a participé à l’augmentation de la teneur en oxygène de l’atmosphère terrestre que nous connaissons aujourd’hui.
Le processus inverse en cours depuis le début de l’ère industrielle ne va certes pas ramener l’atmosphère terrestre aux premiers âges de la Terre mais doit cesser pour cause d’augmentation significative de l’effet de serre avec les modifications climatiques induites que nous commençons à ressentir.
Comme le pétrole et le charbon dérivent directement de la biomasse non-alimentaire, pourquoi ne pas faire directement, depuis cette biomasse, les molécules issues du pétrole et du charbon.
Ce raisonnement est simple et plein de bon sens puisque les chimistes et biochimistes ont montré au cours du XXème siècle que c’était tout à fait possible mais avec un bémol sérieux.
En effet, l’incapacité à séparer dans des conditions économiques et écologiques acceptables les composants de la biomasse, comme on le pratique couramment avec les composants du pétrole, interdisait leur développement en pleine compétitivité avec ces derniers.
Il n’est pas de mon propos de rappeler les innombrables méthodes qui furent étudiées, depuis plus d’un siècle, si on prend comme référence historique la découverte de la séparation de la cellulose et la production de papier à partir du bois à la fin du XIXème siècle, elles furent et sont encore quotidiennement une longue litanie d’échecs.
Ayant pour ma part, enseigné pendant 25 ans la genèse, l’extraction, le raffinage et la chimie du pétrole à l’Université de Toulouse, j’ai pu apprécier l’excellence de la filière pétrochimique, quand les opérations sont menées avec rigueur, et considéré très vite que, seul ce modèle, appliqué à la transformation de la biomasse non- alimentaire, pouvait permettre son émergence économique pour le plus grand bien de notre environnement.
DU RAFFINAGE DU PETROLE AU RAFFINAGE DE LA BIOMASSE LIGNOCELLULOSIQUE
La distillation initiale du pétrole brut qui permet sans les dégrader de séparer les hydrocarbures qu’il contient est inconcevable avec le bois, la paille ou la bagasse.
Si l’on veut aller vers les mêmes molécules et matériaux, il ne faudra donc pas dégrader, lors de la séparation initiale, leurs composants que sont la cellulose, les hémicelluloses, la lignine et la silice. Le schéma suivant illustre le propos :
Les premiers travaux effectués dans mon Laboratoire à l’Université de Toulouse au début des années quatre-vingt-dix m’ont rapidement montré que les séparations des composants de la biomasse conduites dans l’eau ne pouvaient guère aller que vers l’extraction de la cellulose au prix de méthodes dures et polluantes, jamais très loin des conditions actuelles de production industrielle des pâtes à papier chimiques.
Certes le soufre utilisé sous différentes formes, en milieu très fortement basique ou acide, protège tant bien que mal la cellulose pour en faire de la pâte à papier mais il faudra ensuite le recycler ce qui est tout sauf simple. Les lignines et les hémicelluloses sont sévèrement dégradées au point de n’avoir d’autre choix que de les incinérer pour récupérer l’énergie pour faire fonctionner les usines et récupérer les produits chimiques utilisés comme catalyseurs et réactifs.
C’est la situation qui prévaut toujours aujourd’hui pour les seules « bioraffineries », hier encore usine de production de pâte à papier ou sucreries, existant industriellement à partir de biomasse lignocellulosique et dont le concept et les méthodes remontent donc à la fin du XIXèmesiècle.
Cela signifie simplement que pour produire par ces méthodes 1 Tonne de cellulose brute, il faut consommer 1 Tonne de bois sec.
Ce chiffre est certes à pondérer puisque le pouvoir combustible de la lignocellulose est 3 fois moins élevé que celui du pétrole mais reste aberrant en ces temps d’économie d’énergie.
Ce chiffre est à comparer avec une raffinerie de pétrole qui utilise de l’ordre de 90 kg de pétrole brut pour produire 1 Tonne de carburants et autres produits de notre quotidien.
L’objectif sera donc, pour la raffinerie de lignocellulose totalement verte, de ne consommer que 3x90kg soit environ 300 kg de biomasse sèche ou d’un de ses composants pour produire 1 Tonne de produits commerciaux à haute valeur ajoutée pour être d’abord compétitive avec la raffinerie de pétrole sur le plan énergétique et la rendre totalement verte.
Si l’on veut donc que les 5 à 6 milliards de tonnes de résidus agricoles et forestiers générés annuellement dans le monde, qui se dégradent en gaz carbonique et eau sans aucun apport économique et écologique, remplacent, comme ils peuvent le faire, les 4,5 milliard de tonnes de pétrole que l’on consomme chaque année, il va donc falloir sortir des sentiers battus.
C’est ce que j’ai commencé à faire il y a plus de vingt ans pour aboutir aujourd’hui aux forts sympathiques résultats que vous découvrirez au fil des lignes qui suivent.
LA CELLULOSE, LES HEMICELLULOSES, LA LIGNINE ET LA SILICE
Il s’agit des 4 principaux composants dont on connait parfaitement la structure à l’exception de la lignine qui fut pendant bien longtemps une véritable énigme.
Il y a bien sur quelques molécules issues de métabolismes secondaires spécifiques à hauteur de quelques %, caractéristiques de la matière première considérée.
Un peu d’histoire montre que c’est le chimiste Anselme PAYEN, qui, s’intéressant à l’analyse du bois, mit en évidence en 1838 une substance qui se décomposait en unité glucose qu’il baptisa cellulose.
L’année suivante donc en 1839, il constata la présence permanente d’une autre substance autour des fibres de cellulose qu’il qualifia de substance incrustante sans aller plus loin dans sa définition. Le terme de lignine apparut quelques années plus tard, en 1856, dans les travaux de Franz Ferdinand SCHULTZE, confirmant les observations et hypothèses de PAYEN.
Les hémicelluloses furent identifiées au début du XXème siècle comme étant les polysaccharides présents dans les plantes terrestres autre que la cellulose, l’amidon et les fructanes.
Il faut dire que la brutalité des extractions papetières, qui ont dominé le monde de la lignocellulose jusqu’à aujourd’hui, a une fâcheuse tendance à démolir la lignine et les hémicelluloses. La liqueur noire qui en résulte est lourdement concentrée en molécules organiques et minéraux dont l’incinération compliquée permet de récupérer seulement une part d’énergie et les produits chimiques utilisés.
L’existence de structures aromatiques dans la composition des lignines ne passionna pas ensuite outre mesure la communauté scientifique. Les liqueurs noires papetières, mélanges intimes de lignines et sucres dégradés et minéraux sodés et soufrés oxydées y furent bien sûr pour beaucoup par leur caractère bien peu engageant.
Il fallut attendre la fin de la deuxième guerre mondiale et les travaux de Bernard DAVIS pour que la voie biosynthétique dite de l’acide shikimique explique comment, via entre- autre, la phénylalanine, on passait du glucose aux trois alcools allyliques suivants qui constituent les monomères en distribution apparemment aléatoire des macromolécules de lignines.
ALDER proposa dans les années soixante un modèle qui continue encore d’apparaître dans livres et publications alors qu’il est bien loin de rendre compte de la structure de la lignine.
Les arrangements de la structure polymère de la lignine ont fait débat jusqu’au début de ce siècle avec essentiellement des structures modélisées loin des réalités physiques.
A la suite de mes travaux sur la séparation des principaux constituants de la lignocellulose dans les acides organiques faibles comme l’acide formique et l’acide acétique que je détaille dans les paragraphes suivants, j’ai eu l’opportunité avec mon collègue, le Professeur J.H. BANOUB de proposer pour la première fois en 2003 une structure oligomérique linéaire simple, de faible masse moléculaire, qui fit sensation à l’époque.
Elle est aujourd’hui largement reconnue par la Communauté scientifique.
L’absence de dégradation de la macromolécule naturelle a permis d’éliminer toute référence à une structure tri- dimensionnelle et les analyses poussées en spectrométrie de masse et RMN nous ont permis d’établir, sur des bases expérimentales solides, la formule générique suivante :
Les estérifications partielles par les groupements acétyle et formyle des groupes phénolique et hydroxyméthyle que nous avons été les premiers à relever et quantifier sont de première importance par leur incidence sur la réactivité.
Ils dépendent simplement des proportions d’acide acétique et d’acide formique présentes dans le milieu lors du premier stade d’extraction comme nous le verrons par la suite.
La maitrise structurale totale que nous avons à propos de la lignine extraite par mes technologies ouvrent des voies de valorisation spectaculaires que je détaillerai plus tard.
Quant à la silice, nous avons confirmé sa structure amorphe à l’état naturel dans les végétaux et pu l’extraire aisément par solubilisation / précipitation. Ses applications fort nombreuses et rémunératrices sont celles de la silice précipitée commerciale. Ce sera un co-produit essentiel pour le raffinage de la paille de riz qui en contient plus de 10% en poids.
LES TECHNIQUES ORGANOSOLVES ET LES SOLVANTS ASSOCIES
Il s’agit simplement de mettre en œuvre des solvants autre que l’eau pour déstructurer si possible proprement la lignocellulose sans utiliser des milieux acides ou basiques durs à haute température et sous pression. Les premiers travaux furent menés par Theodor KLEINERT en 1968 avec le méthanol et l’éthanol.
A peu près tous les solvants disponibles, hydrophiles ou hydrophobes, ont été ensuite essayés avec comme objectif premier, à l’instar du raffinage du pétrole, la séparation sans dégradation des composants de la lignocellulose que nous venons de décrire.
On rencontre ainsi au fil des années, depuis près d’un 1/2 siècle, des alcools, des acides minéraux et organiques, l’ammoniaque et des amines, des cétones, des éthers, différents hétérocyles plus ou moins saturés, les solvants aromatiques, les solvants ioniques dans une bonne dizaine de milliers de brevets et articles scientifiques.
Une bonne centaine de procédés ont atteint le stade pilote et une dizaine le stade industriel qui n’ont pas eu de lendemain. Seules deux à trois usines peu rentables essaient d’exister actuellement aux USA et au Brésil.
Rien n’est donc venu sérieusement perturber les technologies d’extraction séculaires de la cellulose et donc l’industrie papetière à ce jour.
J’ai depuis longtemps, comme d’autres collègues de par le monde, analysé dans le détail toutes ces technologies et les conclusions communes globales sont qu’à un moment donné ces technologies souffrent d’au moins un des problèmes rédhibitoires décrits ci-dessous qui condamne leur devenir industriel pour des raisons économiques et/ou écologiques.
C’est donc par ordre d’importance :
L’incapacité à procéder au raffinage avec absence totale de dégradation des composants de la lignocellulose,
La toxicité, le coût de production du solvant, sa mise en œuvre et son recyclage intégral,
La nature des équipements et les coûts de construction et d’investissement associés,
Les coûts logistiques et opérationnels du champ ou de la forêt jusqu’à la mise sur le marché concurrentiel avec le pétrole sans subvention d’aucune sorte.
Au bout du compte, parmi l’ensemble des solvants plus ou moins réactifs de la chimie organique, après de multiples essais en Laboratoire avec toutes les catégories évoquées ci-dessus, ce sont les premiers acides organiques, à savoir l’acide acétique et l’acide formique qui ont retenu mon attention.
Ils ne m’ont jamais déçu depuis plus de 20 ans et seront sans nul doute, comme vous aller le voir la clé des raffineries de biomasse lignocellulosique qui vont, c’est une certitude, remplacer progressivement les raffineries de pétrole.
Les deux technologies que j’ai mis au point sont donc prêtes pour leur développement industriel avec pour le procédé développé par la société CIMV avec un TRL (Technology Readiness Level) de 8 et celui très récent développé par la société BioEB avec un TRL de 5/6.
Ces deux technologies sont à la fois des découvertes scientifiques et des innovations de rupture industrielle de premier plan. Elles ont à ce jour fait l’objet sous ma direction de 13 familles de brevets internationaux, 10 marques déposées internationales et de 17 publications scientifiques dans les meilleurs journaux scientifiques mondiaux dans leur domaine respectif. L’ensemble de ces références et documents publiés apparait en fin de cette présentation
LES MATIERES PREMIERES
La lignocellulose n’a aujourd’hui que peu de considération de la part des grands opérateurs de la production d’énergie. Ils ont fort logiquement, pour les quelques centrales biomasses qui fonctionnent de par le monde, utilisé des concepts à revoir d’urgence si l’on veut, comme le souhaite aujourd’hui la grande majorité des pays, hommes politiques et citoyens confondus, faire de la biomasse non-alimentaire une réalité effective du mix énergétique de demain.
C’est donc une erreur temporaire qu’ils devront corriger dans l’avenir s’ils veulent sécuriser à grandes échelles les filières d’approvisionnement indispensables à la transition énergique qui nous concerne tous.
L’équation est simple. Si l’on se base sur un prix de pétrole à 50$ le baril, ce qui est des plus raisonnable aujourd’hui, cela met la tonne de pétrole brut à 390$. Dans ces conditions, sachant que la valeur énergétique de la biomasse lignocellulosique sèche est le 1/3 de celle du pétrole, l’équivalent en prix payé pour la lignocellulose sèche, entrée usine par l’industriel la transformant, devrait donc être de 390/3 = 130 $/T.
A ce prix payé entrée usine au producteur, les 4,5 milliards de tonnes de pétrole peuvent être remplacés dès demain par de la lignocellulose existante pour peu que les technologies de transformations soient aussi efficientes que les technologies pétrolières actuelles.
Les résidus d’exploitation des plantes alimentaires
Les pailles de céréales
Elles sont dans le monde une composante essentielle de la production céréalière. Selon la FAO qui fait autorité en la matière, la production mondiale de céréales fut en 2016 de 2569 millions de tonnes, donc d’au moins autant de pailles.
Actuellement les ¾ partent en fumée ou sont dégradées en gaz carbonique et eau sans aucun bénéfice pour les sols et les agriculteurs qui les travaillent. Elles constituent une ressource de près de 2 milliards de tonnes immédiatement disponibles et ce dans la plupart des pays du monde, si bien sur elles sont rémunérées à leur juste valeur.
Les bagasses de canne à sucre et de sorgho sucrier
Comme pour les céréales, la bagasse, partie lignocellulosique de la canne à sucre, compte pour environ 50% de la matière sèche soit autant que le sucre. La production annuelle de sucre fut l’année dernière de 187 millions de tonnes. Il est admis aujourd’hui qu’avec une optimisation de la conversion de la bagasse par cogénération en vapeur et électricité, un bon tiers voire plus peut être exportée sur le réseau, le reste alimentant l’usine. Le raffinage végétal peut, sans diminuer l’acquis, augmenter sérieusement son efficacité et sa rentabilité.
Les résidus d’exploitation forestière
Les bois feuillus
C’est dans l’hémisphère nord que les bois feuillus, souvent laissés sur le sol lors de l’exploitation des résineux, constituent une énorme ressource aisément disponible.
Compte-tenu de leur croissance plus rapide et des chiffres d’exploitation des bois ronds qui dépassent largement le milliard de tonnes, la voie est ouverte à des quantités équivalentes pour le raffinage végétal et donc à la production simultanée de produits à haute valeur ajoutée et d’électricité.
Les palmiers à huile
C’est une filière décriée avec bien des raisons objectives pour cause de déforestation accélérée mais qui produit actuellement 65 Millions de tonnes d’huile de palme et de palmiste pour le biodiesel et l’industrie alimentaire. Si on ajoute à cela que pour une tonne d’huile produite c’est près de 6 T de déchets lignocellulosiques qui sont générés et qui donc se décomposent dans des conditions quelques peu discutables, le tableau devient carrément effrayant.
Or comme ces résidus sont tout à fait exploitables au même titre que le bois et la paille pour cause de composition identique, c’est près de 400 millions de tonnes de lignocellulose qui sont disponibles pour entrer dans le cercle vertueux du raffinage végétal. Le tableau prend alors une autre allure.
Le récent rapport sur le sujet de l’UICN (Union Internationale de Conservation de la Nature – https://doi.org/10.2305/IUCN.CH.2018.11.fr) qui ne peut être suspecté de connivence avec les producteurs, confirme le propos et est tout a fait instructif sur le sujet.
Les productions lignocellulosiques spécifiques
C’est une voie à considérer sur des terrains que les pratiques culturales et/ou les pollutions industrielles ont rendu impropre à la production alimentaire. Le miscanthus peut par exemple y jouer un rôle tout à fait intéressant car les espaces ne lui manqueront pas.
Mon propos n’a rien d’exhaustif compt-tenu de la gigantesque production mondiale annuelle de biomasse terrestre à partir du CO2 atmosphérique qui dépasse allègrement les 200 milliards de tonnes.
La photosynthèse produit annuellement bien plus que ce que nous consommons annuellement et, si ce n’est par facilité depuis deux siècles, le pétrole et le charbon auraient fort bien pu rester sous- terre pour peu que l’on ait consacré à la biomasse le même temps et les mêmes investissements.
C’est à ce challenge un peu fou que je me suis donc attaqué il y a un peu plus de vingt ans et vous allez voir que le jeu en valait la chandelle en créant au passage deux entreprises (CIMV et BioEB) dont vous pouvez voir leur déroulement en cliquant sur leur lien.
Les références bibliographiques qui suivent donnent les éléments d’accès aux détails non confidentiels des travaux effectués sous ma Direction depuis plus de 20 ans sur mon concept de raffinage végétal notamment les brevets qui ont été déposés en toute propriété par CIMV et par moi-même exploité sous licence exclusive par BioEB.